Felouques sur le Nil autour des Îles Éléphantines
Si l'Egypte existe et a existé depuis des millénaires, elle le doit en grande partie à son fleuve. L'historien Hérodote écrivait en 450 av.JC : "L'Egypte est un don du Nil". En effet, sans le Nil, une civilisation aussi avancée que les Egyptiens, n'aurait pas pu s'épanouir durant toute l'Antiquité et encore aujourd'hui.
Le Nil nourrit l'Egypte et pendant des milliers d'années, il a aussi défini le rythme annuel. A l'époque du solstice d'été, les eaux gonflées venues du Sud se rapprochaient, un mois plus tard, elles atteignaient l'embouchure, et pendant trois mois environ, le Nil en crue sortait de son lit et inondait la plaine et le Delta.
S'ensuivait la saison des semailles et des plantations, d'octobre à novembre. Enfin de janvier à avril, les fruits et céréales mûrissaient, puis venait le temps des récoltes.
Pour tirer le meilleur parti de la crue, les Egyptiens inventèrent un système sophistiqué de canaux et de champs en terrasses. Pendant des millénaires les Egyptiens utilisèrent des rampes étagées auxquelles étaient suspendus des seaux à l'extrémité de longues tiges.
L'agriculture représentant la branche principale de l'économie égyptienne, l'amplitude des eaux reste la préoccupation majeure des souverains. C'est pourquoi on construit digues, barrages et canaux de façon à contenir l'eau et à la dévier en fonction des besoins. Toutefois, les actes hydrauliques de la royauté restent assez restreints.
Représentation en perspective du Nil par l'architecte français Hector Horeau en 1838
On constate que toute l'agriculture égyptienne repose sur les caprices du fleuve. Bien des documents évoquent l'inconstance de ce phénomène : visiblement, les crues sont irrégulières par leur volume, leur durée et leur date d'apparition. Trop généreuses, elles bouleversent le système d'irrigation et détruisent les habitats ; à l'inverse, la surface agricole se trouve réduite et le pays connaît des années de sécheresse et des possibilités de famine.
Les documents fixent la hauteur idéale d'une crue à seize coudées, environ huit mètres : on dit que, lors de son apparition, Hâpy, personnifiant la crue, est accompagné de seize enfants mesurant chacun une coudée.
En réalité, le volume de la crue résulte de l'abondance des précipitations tombées dans les montagnes d'Éthiopie nourricières du Nil bleu.
Par sa puissance, le fleuve arrache sur son passage toutes sortes de débris volcaniques et métamorphiques qui, par décomposition, forment ce limon extrêmement fertile qui donne à la crue toute son importance.D'où les trois saisons du calendrier : "akhet" (l'inondation), de juin à octobre ; "peret" (les semailles), de novembre à février ; "chemou" (la récolte), de mars à juin.
Mais le Nil outre, ses vertues bienfaitrices, permettait également de laver les sols du sel qui les imprégnaient et emportait les déchets.
L'instrument de prévision le plus fréquemment utilisé par les anciens Egyptiens était le nilomètre. Rattaché à un temple situé au bord du Nil, il se compose d'une descenderie conduisant, par le biais d'un escalier, au Nil ou à la nappe phréatique. Sur les parois, des échelles graduées en coudées permettent de déterminer, en fonction du volume des eaux, l'importance de la crue et d'en déduire ses conséquences agricoles et fiscales.
Voici le nilomètre à Eléphantine
Sur la Chapelle blanche de Karnak, on apprend que, dès le règne de Sésostris Ier, l'enregistrement officiel de la crue s'effectue en trois points stratégiques : Éléphantine, région memphite et Delta central. Si, par exemple, on enregistre à Éléphantine une hauteur de vingt-deux coudées vers la mi-août, on peut prédire que les récoltes seront bonnes.
Chapelle Blanche de Karnak de Sésostris I (1971 - 1928 av.J.C.)
Dans l'Antiquité, le Nil régissait le rythme des saisons, l'alimentation et la circulation de tout un pays, celui de l'Egypte. Il était et l'ai toujours, la voie de transport principale des hommes et des matériaux, l'artère vitale de tout un peuple.Pour construire de grands édifices, les Egyptiens creusaient un ou des canals d'accès reliant le Nil au plus près du chantier, afin d'acheminer plus facilement les blocs de calcaire ou autres matériaux.
Il semble que le fleuve ait complétement obnubilé les anciens Egyptiens, ce qui pourrait expliquer leur désintéressement de la roue comme moyen de transport.
Outre l'aspect d'organe vitale, le Nil s'éparait également le pays en une partie Occidentale et l'autre Orientale : le Soleil se levant à l'Est, cette région était considéré comme le Royaume des Vivants et se couchant à l'Ouest, prétendue comme Royaume des Morts. Car comme nous pouvons le constater encore aujourd'hui à Louqsor, les habitations des vivants étaient construites sur la rive orientale, contrairement aux tombeaux des rois, reines et aux représentants du royaume qui étaient édifiés sur la rive Occidentale.
Or, les anciens Égyptiens, qui ignoraient tout des sources du Nil, expliquaient ce phénomène d'une tout autre façon. Une inscription, connue sous le nom de la « stèle de la Famine », révèle la nature des croyances relatives à la crue. Elle a été gravée en 187 av. J.-C., sous le règne de Ptolémée V, sur un rocher de l'île de Sehel, à proximité d'Éléphantine. Le personnage mis en scène est Djéser, premier pharaon de la IIIe dynastie, qui se plaint d'une trop longue sécheresse.
Si l'Egypte est un don du Nil, le Nil était une offrande des dieux pour les anciens Egyptiens. Il jouait sur le mode de vie de ce peuple et l'un des devoirs du pharaons était de veiller à ce que les divinités fluviales restent bienveillantes. Ainsi par des rites et cultes, le réel et le divin étant extremement liés, le dieu étant très facilement assimilés aux eaux du fleuve.
Le mot Hapi exprime plusieurs choses, en effet celà caractérise à la fois le Nil, les crues du Nil et le dieu du Nil.
Hapi, le dieu du Nil est très souvent représenté avec à la main une tige de palmier qui signifie "année" et symbolise la crue annuelle. Il apporte la richesse si celui-ci est représenté avec une panier à fruits garni mais il est aussi anonciateur de vie lorsque deux symboles Ankh sont accrochés à son bras. Il est également reconnaissable à sa double sexualité signe de fertilité, représentée par la barbe postiche et par un sein
A Assouan, il y avait des divinités fluviales ventrues telles que Krophi et Mophi représentées accroupies sous les rochers et faisant bouger l'eau issue de Noun, l'océan primitif.
Les anciens Egyptiens croyaient que le Nil retournait à l'eau originelle et en resortait comme cycle éternelle.
Les historiens pensent que la crue provient d'une grotte souterraine proche de la première cataracte où règnent trois divinités : Khnoum, le dieu bélier qui passe pour avoir façonné l'humanité sur son tour de potier, et ses parèdres, Satis et Anoukis. Tous trois, gardiens des sources du Nil, libèrent chaque année les quantités nécessaires de limon pour fertiliser les terres égyptiennes. C'est Hâpy, l'incarnation de la crue, qui constitue les réserves. C'est pourquoi, d'Assouan au Delta, on vénère ce génie aux mamelles pendantes et au ventre bedonnant pour le prier de donner au pays une crue satisfaisante. Considéré comme le génie de la fécondité et de l'abondance, il est omniprésent dans les cortèges de divinités ornant les soubassements des sanctuaires.
Hapi sous sa grotte souterraine proche de la première cataracte, fait jaillir de l'eau de ses vases. Relief du temple d'Isis de l'île de Philae, IIème siècle ap.JC
Ce fleuve omniprésent, n'a pas seulement façonné la vie terrestre des Egyptiens, il a été également le précurseur de leur conception du monde. Les Egyptiens croyaient que les dieux se déplaçaient presque toujours sur l'eau et au cours de processions, les prêtres transportaient les statues des divinités dans les barques afin que le dieu puisse encore jouir des bienfaits du fleuve.
La nuit, des êtres divins tirent la barque sacrée sur les eaux du Nil d'ouest en est. Le soleil qui a renouvelé ses forces vitales se retrouve dans le serpent. Le scarabée symbolise le soleil à son lever. Détails d'une peinture murale du tombeau de Thoutmosis III, Thèbes, Vallée des Rois, Nouvel-Empire, XVIIIème dynastie